Altération: Vision et Projection
L'existence est composées de couches qui s'interposent et nous dépassent, de réalités qui s'alternent.
Aberration corporée de chair et de larmes au milieu de dialectiques platoniciennes, il est un point d'ancrage entre plusieurs mondes qui se superposent à ses yeux.
Devant ses globes ébahis se mélangent les contours flous et changeants d’un monde triple qu’il est seul à voir.
C’est flou, comme ces films d’action qui brillent en 3 dimensions mais qu’on regarderait sans lunettes.
Il y a d’abord, le monde du corps : le tangible et l’existence, celui de la vie de tous les jours.
puis,
Le monde miroir au nôtre, celui fait d'esprits et d'idées, un monde qui retient des réminiscences et des images fantômes d’esprits disparus, mais qui restent bloqués comme des boucles. Celui où les concepts ont un goût, une couleur,une sonorité. Celui qui nous dépasse.
puis,
Le monde qui ne ressemble à rien, le monde des regrets, des “et si”, des angoisses, des éventualités, des chimères et des monstres.
Où s’arrête le bout de tes yeux orfeo ?
Entre les lignes floues des mondes qui se confondent, toi, où es-tu ?
Avantages/inconvénients: Voici là l’histoire de son fardeau celui d’une vision si clairvoyante qu’il ne lui reste que la cécité. Dansant sur les lignes floues, l'équilibriste entre les mondes manque de chuter. Après tout il n’est qu’un spectateur, un témoin, un fantôme condamné à errer dans les brèches. Orphée doit bien mourir pour chercher Eurydice aux portes de l’enfer.
Mais il mourra tant qu’il faut pour revenir.
- trois réalités se superposent toujours devant ses yeux, avec plus ou moins de présence. Celles-ci vacillent.
- il ne peut pas influer sur ces plans de la réalité, seulement les regarder se superposer
- S’il souhaite se projeter totalement dans le monde des concepts et des esprits, celui parallèle à notre réalité, Il doit y projeter sa conscience. Il doit "mourir" ou du moins imaginer sa mise à mort : Son corps, décèdé pendant un court laps de temps, reste sur le plan de l’existence sensible en attendant. Le coeur s’arrête. Le cerveau aussi.
- Dans ce monde il peut retrouver des morceaux d’esprits, retrouver des bouts d’âmes qui hante des lieux. Il ne parle pas aux morts, il interagit avec des morceaux de conscience qui sont restés là. Avec des concepts qui prennent corps.
- On ne peut pas tuer les idées indéfiniment, elles finissent toujours par renaître. On ne laisse pas les idées vacantes. La projection astrale est en soi dangereuse pour le corps sans vie qu’on laisse trop longtemps en bas.
- S’il reste plus de 5 minutes son corps sera cliniquement mort, impossible pour son esprit d’y retourner. Sinon, son esprit retourne dans son corps et son coeur se remet à battre.
- Le troisième niveau de réalité est effrayant. Il s’y retrouve parfois sans le vouloir. Ici rien n’a de sens. C’est un monde de potentialité et de chimères qu’il voit parfois en rêve. Il n’aime pas y aller.
Maîtrise: Il ne maitrise pas son altération mais se laisse porter et chahuter par elle. Le procédé pour se projeter dans une autre réalité est physiquement lourd. Il faut mourir un peu à chaque fois.
Grade: G~ il ne veut pas de problèmes...
j’ai une très mauvaise mémoire de l’avenir.Entre tes mains calleuses Orfeo il y a une douceur c’est vrai. Elle n’est pas encore morte je crois.
Un semblant de tremblote qui agite tes membres,
Que vois-tu Orfeo dans la fièvre ? Et dans les lignes brisées ? Dans les points de fuite qui ressemblent à des prisons ? Et les reliefs moqueurs aux dorures dégueulasses ?
― Lorsque tu délies ton bras, c’est trois images de mains que tu vois se mouvoir :
La première est ta main tiède de la chaleur du corps, aux ongles courts, à la pulpe légèrement rugueuse.
La seconde est ta main fantôme; c’est une idée de main, le concept de ta main. C’est l’essence du mot et de la notion de la main d’Orfeo.
La troisième est ta main horrible, celle qui aurait refait le monde de "si". (si tu lui avais pris la main, si tu l’avais rattrapé, si enfant tu avais laissé tes doigts sur le bord de la voiture, si tu lui avais touché l’épaule, si tu, si tu, si tu,….). C’est une main monstrueuse.
― “io cadrò morto
sotto il sole che arde,”
“je tomberai mort
sous le soleil ardent,”
Il giorno della mia morte, Pier Paolo Pasolini.― Matelot chahuté sur les rives de trois mondes tu te demandes un jour si tu ne finiras pas par couler.
Il se souvient toujours de la première fois qu’il a joué au passe muraille, au danseur magnifique, entre les éclats de monde brisés.
Il se souvient de la première mort.
Dans le grand amphithéâtre, sur l’écran de toile de grisaille et de poisse. La Résurrection de Lazare de Rembrandt brille par ses clairs-obscurs, et les couleurs saturées et menteuses des vieux vidéoprojecteurs qui soufflent à grand bruit. Il ne fait pas attention à la tension dans sa poitrine, ni même à la sueur dans son cou. C’est un soir de début d’été, il fait chaud et lourd.
“ [...] Portez une attention particulière, jeunes gens, à la façon dont la grotte, sombre et glauque, contraste avec les visages qui, lumineux, expriment toute la surprise des personnages autour de la tombe de Lazare ressu-”Et comme ça, son coeur s’arrête, le rideau tombe et son corps aussi.
L'amphithéâtre semble toujours être le même, pourtant il est vide.
Adieu les élèves, le projecteur qui grésille.
Il fait froid. Si froid ici. Le concept de froid a l’odeur du béton glacé des matins d’hiver. Et-
“Qu’est ce que vous faites là ? Vous ne devriez pas être là”Orfeo la reconnaît, cette étudiante blonde aux yeux troubles. Toujours au premier rang de l'amphithéâtre, griffonnant ses mots avec l’abnégation d’un moine copiste.
Elle était décédée il y a deux mois. Overdose dans les toilettes;
“Je-”“Fais attention, pars vite. Pas plus de 5 minutes” Lance-t-elle pointant son corps à ses pieds.
Son corps
à ses pieds.
Recroquevillé et pétrifié dans une grimace de peine.
Statue de douleur à la chair ébranlée.
il sent l’amer de la bile dans l’arrière de sa bouche
“Je suis… mort… je ?”“Pas exactement, mais presque. Si tu restes trop longtemps oui”“Je… ne comprends pas, tu es morte toi. Tu es un fantôme?”Elle rit. Un rire clair qui sonne vide, cette idée du rire a une couleur jaune pâle et un goût de vanille mélangé à celui du pétrole. Et elle continue d’écrire assise à sa place comme une enfant sage.
“Je ne suis pas un fantôme Orfeo, je suis un souvenir. Je suis un bout de moi qui reste accroché dans ce pan du réel. Je suis une boucle, assise ici et qui continue d’écrire. Comme ce que j’ai fait si souvent. Petit à petit je m’efface. Je ne suis qu’une idée en parallèle de la réalité. Une note en bas de page. Je suis un paratexte qui s’étiole et tu es le lecteur. L’ironie tragique.”Orfeo ne sait plus sur quel pied danser entre ces réalités semblables et pourtant si différentes. Le tic tac rébarbatif de sa montre sonne fort à ses oreilles, comme un faux pouls contre son poignet. Il remarque maintenant qu’il ne sent plus battre son coeur. Il y a une sensation vide et humide dans sa poitrine comme s’il se vidait lentement.
“Va-t’en maintenant, cela fait bientôt 5 minutes” Il se sent comme happé vers le bas, comme un crochet qui vient tirer son âme. Il a peur et se sent chuter à nouveau. La peur est verte, elle à un goût humide et âpre sur le fond de la langue comme une cave trop longtemps fermé.
“Avant que tu partes … Ce n’était pas une overdose, Orfeo écoute moi oh.... je suis égoïste mais, ce n’était pas un accident je-”Reprendre cette grande inspiration quand ton coeur se remet à battre est une douleur perçante. L’apnée est horrible et il semble renaître, comme respirant pour la première fois (il a envie de pleurer, comme la toute première fois); prenant en pleine figure les lumières de l’ambulance et les visages éplorés des étudiants. Il voit tout, tout démultiplié et la multitude de traits qui dansent devant ses yeux comme les images déformées par la surface de l'eau le terrifient tout à coup.
Il a trop de choses :
La brûlure sur sa poitrine et l’odeur de cramé. L'électricité dans le bout de ses doigts.
La moiteur de l'amphithéâtre
Le grésillement du projecteur
Lazare ressuscité.
― Il fait si sombre ici. Il n'aime pas rester ici.
Il du fermer les yeux ou s'assoupir peut être.
pour venir ici il ne faut pas mourir, seulement baisser sa garde.
Ici la réalité s'étend sans forme sous ses pieds, il voit des visages passer. Des fractales, des formes impossibles
Des illusions d'optique,
des potentialités,
de regrets,
des monstres.
Et puis il y a toujours cette ombre. Cette ombre qui le regarde dans le blanc des yeux et qui semble grossir toujours plus s'il pose son regard dessus. Cette ombre toujours derrière lui, a quelques mètres dans la distance.
Cette ombre terrifiante qui a l'odeur de la familiarité et les contours d'un corps étranger et flou.
Peut être ne le sait-il pas encore, Orfeo perdu aux enfers, mais dans un monde de fantasme,
cette ombre c'est lui.