as le temps de traîner. Pas le temps de ralentir. Un coup, deux coups. Pas assez fort. Alors elle recommence. Dans sa tenue de sport noire -puisqu’elle ne connaît que ça- Bellona s’acharne encore et encore sur ce pauvre sac de frappe prêt à demander clémence. Il est tard. Il est en retard. Maudissant son élève, recommençant une série de coup. Peut-être qu’en frappant assez fort, le monde l’entendrait et Tengu bougerait son cul. La prochaine fois, elle lui donne rendez-vous encore plus tôt. Comme si ce matin, 6h ne suffisait pas. Elle a sommeil, c’est bientôt à elle d’aller se coucher, oiseau nocturne aux habitudes de chien de garde. Vivant la nuit pour s’éclipser le jour. Marchant sur les ombres pour éviter la folle et tentatrice lumière du soleil.
Encore un coup. Un peu trop fort. Merde. Elle a fait un trou.
Ok, sac suivant. Elle recommence en boudant, rêvant d’objets coupants, de la tête de son élève reposant dans un coin. Et le reste du corps un peu plus loin. Bellona n’aime pas attendre, préfère l’activité intensive au passage long et monotone des secondes qui défilent, qui semblent la narguer pour mieux la faire chier. Ok, encore 5min et elle se casse. « Tengu ramènes tes fesses ! »

e crois qu'un jour je vais mourir dans un accident. C'est sûr ouais. Le moteur du petit scooteur de la boîte à sushis où j'bosse crache ses poumons, fin il les cracherait s'il en avait. Je suis en retard, et Rintintin aime pas ça. Je crois qu'un jour une de ses trois grosses têtes va finir par me bouffer, c'est qu'une question de temps. Alors pour me faire pardonner je lui ai ramené du steak, cru et saignant. Tellement saignant que j'en ai foutu plein mon jean, on dirait que j'ai buté quelqu'un. J'espère que j'vais pas croiser Akira, sinon il m’envoie en HP direct. J'me gare en dérapant devant le terrain d'entraînement, j'entends ses frappes jusqu'ici. Je me change direct, dehors au froid, enfile le short de boxe, les bandages. J'sprint jusqu'à la salle, reprends mon souffle.

Scuse... J'finisais ma tournée... Tiens, je t'ai ramené ça !

Je lui envois le sac avec la viande, un sourire en coin, j'attends sa réaction. Je commence à m'étirer.

Bon, on fait quoi aujourd'hui ?

l faut qu’elle arrête de frapper. Non, promis juste un dernier. Ou deux. Des bruits de course, un souffle court, aucune discrétion. Pas besoin de se retourner, elle sait que c’est lui. Ce qui ne l’empêche pas d’avoir la soudaine envie de l’échanger contre son sac de frappe. Attendre, ça ne lui réussi jamais très bien. Elle marmonne dans son coin. « Pas trop tôt… » Comme un tigre lasse d’attendre sa proie. Un cerbère qui rôde et s’ennuie, impatient de chaos et de chair fraîche, cherche une raison d’exister. De ne pas retourner en enfer.
Elle fait volte-face, attrape le sac au vol et fusille son élève du regard. Comme s’il pouvait l’amadouer.
« Ça a intérêt à en valoir la peine. »
Un regard au fond du sac. Ok, elle est conquise. Ne l’avouera jamais.
« Mouai, j’essayerai de ne pas te rendre en morceau… »
Elle sort le steak de son emballage, saignant et quasiment cru. Tout ce qu’elle aime. Toutes les étoiles du monde dans les yeux, la voila qui n’existe plus que pour la tendre chair au creux de sa main. Le liquide carmin s’écoule le long de son poignet qui n’ose plus frapper. De peur d’abîmer cette précieuse offrande. Pour les dix prochaines minutes, ce gamin a toute son affection animal.
« Hum fait moi vingt pompes. Et frappe un peu ce sac, j’suis occupée. »
Délaissant Tengu du regard, la voila qui se pose en tailleur sur le sol glacé du terrain, sors les crocs et entame avec l’énergie du diable son goûter du moment. Se fichant bien d’en mettre partout. Se fichant bien de ressembler bien plus à un démon qu’à toute autre créature.
Reporte son regard sur son élève. Ha oui les pompes, tant pis, elle fera semblant de compter.