« Il y a de terrible dans le deuil cette question, essentielle et effrayante, qu’on n’a pas eu le temps de poser à l’être disparu : Avec moi, fus-tu heureux ? »

Coup dans sa tête, envie de vomir, douleur dans ses jambes et dans ses bras. Elle quittait peu à peu la douce ataraxie dans laquelle lévitait l’instant d’avant sa conscience endormie, pour rejoindre ce monde en  temps de trouble – à la limite d’une guerre civile – dans lequel elle ne faisait qu’attendre. Attendre, elle ne savait quoi, peut-être un signe du Destin, une femme pour remplacer celle qu’elle avait perdu. Peut-être aussi un peu de courage, une poigne solide pour lui permettre de reprendre son foyer en main. Elle était plus douée pour les matchs de boxe qu’elle s’était mise à jouer depuis quelques mois que pour élever une enfant. Paradoxe étrange pour ceux qui l’avait connu en Angleterre, elle est son caractère soumis, obéissant ; elle, ses yeux gris, et ses cheveux blonds attachés en queue de cheval sage, alors que dans le tissue élastique de son juste-au-corps, elle contorsionnait un corps maigre et pâle. A l’époque elle était une fille douce – pour ne pas dire délavé – et timide, une énième môme aux parents aisés l’ayant envoyé au Royale Ballet School, comme ils l’auraient envoyé ailleurs. Depuis la fillette était devenue une garce, comprenant qu’elle préférait voir les hommes la traiter de pute que de leur manger dans la main ; et de toute façon, des hommes elle n’avait que faire. Sa danse n’avaient plus rien de petits entrechats où de pointes maîtrisées. Depuis longtemps elle avait goûtée à l’art contemporain comme à celui de la rue, et lorsqu’elle dansait elle n’était que membres en torsions, muscles bandés, gestes fluides, mouvements secs, enchaînement si maîtrisé et répété qu’il en devenait martial.
C’était cela.
Son art devenait une arme.
Et l’idée lui effleurait l’esprit depuis longtemps.

Clare se retourna lentement, s’empêtrant dans les draps, souriant difficilement quand sa jambe en rencontra une autre. De sa cheville, elle remonta le long du tibia, fronçant les sourcils lorsque sous la peau elle sentit la raideur trop prononcée de muscles développés. La veuve connaissait ses goûts, savait ne pas particulièrement aimer les femmes musclée – peut-être pas intéressée par un corps ressemblant au sien, taillé dans l’albâtre. Et elle savait qu’hier, après avoir encaissé défaite et coups, elle se serait réfugiée dans les bras d’une compagne lui plaisant, quitte à laisser de côté sa réserve habituelle. Ecoutant cet instinct qui lui murmurait de plus en plus fort d’agir, elle ouvrit les yeux, se figeant.
Un homme.

Appuie du bras, élan, elle se leva et décolla du matelas en quelques secondes, debout devant le corps nu d’un inconnu endormis. Sa poitrine albe, amaigris par sa musculature sèche, se soulevait rapidement – houle paniquée –  alors qu’elle enfonçait dans ses mèches blondes et fauves ses doigts, qui depuis la veille avait perdues toutes marques de coups.  Ses yeux sombres courraient d’un recoin de la pièce à l’autre, observant horrifiés les vêtements au sol, les traces – pitié non, non – de sang jusqu’en ses cuisses. Son nez palpitait sous l’odeur de sueur et de sexe, et celle plus étrange encore et inhabituelle d’homme, de – ho merde – semence. L’adrénaline submergea son cerveau, y inondant les moindres crevasses. La veuve se jeta sur l’homme en une enjambée, traversant le lit et les draps défaits.

« Debout. Debout enculé ! »

Elle abattit son poing contre son épaule, le retourna sur le dos, le plaqua contre le matelas d’un genou contre le torse. Ses doigts, toujours soudés, étaient prêts à s’abattre sur la mâchoire de l’inconnu, qui sous elle tremblait.

« Qu’est ce que je fous ici ? Pourquoi je saigne ? »

Questionna-t-elle, voix sèche et froide sortie du fond de sa gorge en ton rocailleux, exhumée d’entre ses lèvres pâles.

« Mais tu te fois de moi ?! C’est toi qui m’a sauté dessus hier soir !
-Pourquoi ?
- Tu voulais qu’on couche ensemble !
- J’aurais jamais couché avec un homme abruti ! Si tu tiens à te défendre, mets-y plus de cœur !
-Mais si putain ! »

Sentant sous son genou le torse de l’inconnu tressauter, la veuve relâcha légèrement la pression, lui laissant juste assez de liberté pour respirer.

« Raconte.
- Hier, j’étais à ton combat… En sortant des vestiaires, t’étais… bizarre, t’es venue vers moi sans parler, et tu m’a embrassée. Je… Bah j’en ai profité, t’avais pas l’air contre…
- J’ai aucun souvenir de tout ça. Qu’est ce qui me prouve que tu m’as pas donné du GHB ?
- Mais pourqu…
- J’AI LES CUISSES EN SANG CONNARD !
- Mais tu m’as sauté dessus comme une bête ! Je t’ai dit de te calmer ! Mais tu m’écoutais pas ! »

Clare  laissa lentement son bras retomber, se calmant peu à peu. Elle avait eu une nouvelle crise. Rien de grave. Presque. La veuve se leva en portant une main à son visage, réfrénant les tremblements qui ébranlait ses membres, ondes sur sa peau marmoréenne.

« Je me casse. Si tu racontes ça à n’importe qui, je te jure que tu t’en sortiras pas. Compris ? »

Hochement de menton spasmodique, regard mauvais d’un bleu orageux. Elle ramassa ses affaires, sortant de la chambre pour s’habiller dans le salon. Pas une blessure sur son corps taillé, sauf cette cicatrice brune sur son nez. Vieux souvenirs de la première fois qu’elle voulu imiter son père de ses poings.
Elle claqua la porte, sortant de son sac de sport une cigarette qu’elle embrasa et embrassa rapidement, pressée de s’empoisonner et tuer ce qui se réveiller en elle. Monstre cruel, et pas maternel, qui l’empêcherait bientôt de veiller sur la fillette de 6 ans, que lui avait laissé sa défunte amante.