Un tas de fragments désordonnés emportant les curieux dans son fleuve d'euphorie.Un enfant blancIl semblerait que la seule information sur mon Temps que je ne peux avoir grâce à mon altération concerne le début de ma vie.
Je n'ai aucun souvenir de ma petite enfance. Pas la moindre silhouette, pas le moindre mot de mes vrais parents. Mon souvenir le plus ancien remonte à ceux de l'orphelinat. J'ai déjà vu des Fragments liés à moi, mais tous ceux qui datent de ma petite enfance ne sont que silhouettes et syllabes inintelligibles. C'est quelque chose d'étrange et incompréhensible pour moi ; le réalisme est habituellement de mise, mais ces Fragments sont distordus et brouillés.
Comme si quelqu'un avait tenté de les effacer.
Pour quelqu'un qui en sait long sur le monde, c'est ironique. Je ne sais pas qui sont mes parents. Je ne sais même pas d'où je viens, où je suis né, ni ma date exacte de naissance. Finalement, même mon âge est approximatif.
Quoique cela ne fait pas beaucoup de différence pour moi.
La seule théorie que je puisse formuler est que mes propres parents voulaient que je les oublie. Peut-être avaient-ils peur que je leur en veuille de m'avoir abandonné dans un orphelinat. Peut-être avaient-ils des choses à cacher, ou même avaient-ils voulu disparaître complètement de la surface de la Terre. L'un de mes parents est-il un altéré possédant le pouvoir d'altérer les Fragments ? Avaient-ils voulu s'effacer eux-mêmes ? Est-ce que cela avait quelque chose à voir avec ce tatouage près de mon oeil droit dont je n'ai aucune idée de la provenance ? Peut-être éluciderai-je un jour ce mystère...
Un OrphelinatLa période de ma vie où j'étais encore un enfant. Celle où je passais mes journée à courir et à jouer à des jeux d'enfant avec les autres orphelins. L'époque où mes pensées étaient claires et non interrompues par les murmures de Fragments.
Mais c'est commun, nous le savons tous. Les enfants n'ont pas toujours l'ouverture d'esprit d'accepter la différence. Et lorsqu'on est un enfant avec les yeux rouges, on n'y échappe pas.
Leur surnom préféré était "le vampire". Etrangement, je finissais toujours par être le loup et la personne qui cherchait les autres à cache-cache.
Je pense que c'est à cette époque que j'ai commencé à avoir des visions. Rien à voir avec ma réelle altération cependant ; ces pseudo-visions se résumaient à quelques flashbacks de ma vie à l'orphelinat, déclenchés par certains événements similaires. C'était... normal. C'était en tous les cas ce que les adultes me disaient. "C'est normal d'avoir des flashbacks, parfois." ou encore "Ca arrive à tout le monde, ne t'inquiète pas." Maintenant je sais que c'étaient probablement les prémisses de la manifestation de mon altération.
Petit à petit, les flashbacks ont commencé à évoquer des événements passés que j'avais oubliés, filtrés comme peu importants par mon cerveau. Mais, après tout, n'est-ce pas le rôle des flashbacks que de remémorer des événements oubliés ?
Et puis un jour, j'ai vu une Possibilité. Mais contrairement à ce que l'on peut penser, je ne savais pas que c'en était une. Je pensais simplement que c'était un flashback que j'avais oublié.
La vision était simplement celle d'un enfant de l'orphelinat catapultant des nouilles pleines de sauce soja dans l'espoir de toucher un de ses camarades. Camarade qui esquiva le projectile, et la nourriture se retrouva sur le sol de la cantine. Un autre enfant était arrivé en courant et avait trébuché sur les nouilles pour se retrouver à plat ventre la seconde d'après.
Lorsque j'ai vu un garçon catapulter des nouilles à travers la pièce, j'ai eu un étrange sentiment de déjà-vu. Je me rappelais du Fragment que j'avais vu, et la scène était exactement identique. C'étaient le même garçon, les nouilles étaient tombées au même endroit. Et un enfant plus jeune est arrivé, à trébuché et s'est retrouvé ventre à terre.
Je me rappelle que j'étais perturbé. C'est à ce moment-là que la chose est devenue très claire pour moi : j'étais un altéré.
Et l'opinion des altérés dans cet orphelinat n'était pas très haute.
Une AltérationJe devais me cacher. Je ne devais pas montrer à tout le monde que j'étais un altéré. J'avais des visions du passé, et des visions du futur, mais personne ne devait le savoir.
La chose devenait pourtant de plus en plus compliquée. Les visions se faisaient de plus en plus fréquentes ; toucher des gens avait de plus en plus de chances de me montrer une partie de leur vie. Et en plus de ça, j'étais incapable de discerner Histoires et Possibles.
J'ai donc arrêté de parler de mes "flashbacks".
Mais je ne pouvais pas arrêter de voir.
J'avais de plus en plus des "absences" ; aussi a-t-on fini par se rendre compte que quelque chose n'était pas normal.
Un jour j'ai été convoqué ; on m'a demandé si quelque chose avait changé récemment. J'étais encore plus blanc que d'habitude, mais je niais toujours.
Je ne voulais pas être un altéré.
Ou dumoins, je ne voulais pas que les autres le sachent.
S'ils le savaient, les autres enfants allaient me rejeter à nouveau, les adultes me regarderaient comme si j'étais un déchet.
Je savais tout ça ; je l'avais vu dans une ou deux Histoires du directeur avec d'autres orphelins altérés, et dans un Possible... dans lequel j'étais.
Ils n'ont pas réussi à me faire cracher le morceau.
Cependant cela n'a rien changé
Ils ne savaient peut-être pas quelle altération j'avais, mais ils étaient tous persuadés que j'en étais un. Et les rumeurs de ce type... courent très vite.
Bientôt, je me retrouvai seul, réulièrement puni, raillé par les autres enfants. Ils me tendaient constamment des pièges, ou des "blagues" d'enfant. Les affaires qui disparaissent, les sous-vêtements trempés dans la boue, des affaires gribouillées avec des marqueurs, le dentifrice sous l'oreiller... Mais je crois que leur jeu préféré consistait à faire des bêtises et me faire punir pour.
Parfois, je le savais à l'avance, et je me débrouillais. Parfois pas.
Je détestais mon altération. J'essayais de faire comme si elle n'existait pas, comme si je ne voyais rien. Mais je n'y arrivais pas. Et en plus de ça, différencier les visions de mes souvenirs devenait étrangement complexe.
Et comme tout le monde me le disait, j'ai fini par croire que j'étais inutile et que je passerais ma vie sans famille, comme le déchet que j'étais.
Une FamilleJe ne savais pas. Je ne savais pas que dans le monde il y a tout type de personnes, et que si dans le monde restreint de l'orphelinat tout un chacun me reniait, il pouvait exister quelqu'un qui ne le ferait pas.
Je ne savais pas. J'étais renfermé et méfiant.
Un jour, ce couple de japonais est arrivé. Tout chez eux semblait... parfait. Ils allaient bien ensemble, étaient bien habillés, avaient un regard bienveillant. Ils ont fait le tour de l'orphelinat, et les autres enfants les ont invité à jouer avec eux.
J'étais assis dans un coin avec un livre sur les genoux.
L'homme s'est mis à jouer avec les autres enfants.
La femme refusa poliment et s'écarta du groupe pour les regarder.
Je lisais.
Après un moment, la femme s'est approchée de moi, et s'est assise par terre à côté de moi.
- Tu ne joues pas avec les autres ?
- Non.
Je n'attendais rien, je n'espérais rien. Cette personne n'avait aucune raison d'être gentille avec moi. J'étais, après tout, un déchet vivant.
- Je peux te demander pourquoi ?
- Ils ne veulent pas.
Elle s'est penchée au-dessus de mon épaule pour regarder ce que je lisais. Je crois même que pendant un moment elle s'est mise à lire avec moi. Mais je n'ai jamais su réellement ; la seconde d'après j'étais dans une autre réalité.
Un Fragment lié à elle avait surgi de nulle part. Il montrait une matinée à priori banale chez elle ; elle faisait le petit déjeuner en discutant vaguement avec son mari. Puis il y a eu un bruit de pas ; je suis apparu dans le coin de la pièce. Elle m'a dit bonjour, et je me suis assis à table, comme si tout était normal.J'étais en état de choc lorsque je suis revenu à la réalité. Ce n'était pas une Histoire. Ce couple parfait voudrait me prendre sous leur aile ? Ce n'était pas possible.
Non, tous les Possibles ne se réalisent pas forcément.
Je n'irai pas avec eux.
Et pourtant, la vision avait fait renaître une flamme en moi.
J'ai regardé la femme avec des yeux équarquillés. Elle venait de me dire quelque chose mais je n'avais pas fait attention.
- Qu'est-ce qu'il y a, j'ai de la sauce sur le nez ?
Elle avait réellement un regard bienveillant.
Et je la regardais comme si elle venait d'une autre planète.
A ce moment-là un autre enfant est arrivé, et a demandé à la femme de le rejoindre pour jouer avec les autres. Une Histoire de cet enfant dans lequel il me pousse dans la boue. La femme a poliment décliné une seconde fois.- Mais... Tu vas t'ennuyer avec Arsen, il est pas drôle et en plus c'est un bizarre.
- Personne n'est bizarre petit chenapan. Ca te dis d'aller dehors pour discuter, Arsen ?
Elle ne m'a pas laissé le choix. Elle a attrapé mon poignet, doucement mais fermement, et m'a entraîné.
Un autre Fragment. Une Histoire.
Elle est une altérée. Et comme moi, les autres l'ont rejetée.
On passe à côté des enfants.
Je vois une Histoire de l'un, victime d'un croche-pieds.
Puis un Possible d'un autre, dans une famille aimante.
Puis une Histoire de la femme, à nouveau. Son altération.
Elle pouvait sortir de son corps et aller observer les alentours sans que personne ne la voie.
J'étais assis sur un banc dans le jardin de l'Orphelinat.
- Ah, tu es de retour.
Elle avait dit ça de la manière la plus naturelle qui soit.
Je me suis rendu compte à ce moment-là qu'effectivement, elle comprenait.
J'étais maladroit avec mes mots, et la solitude m'avait empêché de développer des compétences conversationnelles.
- Vous aussi, vous êtes une bizarre.
- Mais non, a-t-elle dit en riant, aucun de nous deux n'est bizarre. Nous sommes juste différents.
- C'est pas pareil ?
- C'est une question de point de vue. "Bizarre" c'est négatif. "Différent", ce n'est pas négatif. Et personne n'est bizarre. Tout le monde est unique et plus ou moins différent des autres.
Je n'avais pas tout compris à l'époque. Par contre, j'avais compris qu'elle était de mon côté. La petite flamme éveillée en moi grandissait à force de parler avec elle.
- C'est vrai que vous avez été comme moi ?
- Comment ça ?
- Je veux dire... Que les autres disent que vous êtes bizarre... Et qu'ils soient méchants à cause de ça.
Elle a eu l'air surprise. Je ne comprenais pas totalement que c'était une intrusion à la vie privée que d'avoir toutes mes visions. C'est quelque chose que j'ai apprise plus tard dans ma vie.
- Ah, ça... C'est vrai que je suis passée par là. Et c'est pour ça que si je peux je veux montrer à ceux qui passent par là que tout espoir n'est pas perdu.
Un peu plus tard, alors que nous discutions, j'ai revu le premier Possible dans lequel je vivais avec elle et son mari.Je pense que la suite de cette histoire se devine assez facilement. Ma vie n'est pas non plus une tragédie ; le couple est revenu deux autres fois dans le mois, et lors de leur dernière visite, j'ai été officiellement adopté.
Une nouvelle vie, un apprentissageKakera.
Avec tout ça, j'avais gagné un nom de famille.
Et après être sorti de cet enfer qu'était devenu l'orphelinat, j'ai découvert ce qu'était une vie simple dans un foyer aimant. Enfin, "simple"... presque. Si l'on omet qu'Ayako et Ado, mes parents adoptifs, ont une situation sociale extrêmement aisée.
Les années qui suivirent furent plutôt tranquilles, en un sens. Deux ans après mon adoption, mes parents adoptèrent une fille quelques années plus jeune que moi, Aileen, que j'ai tout de suite considéré comme ma petite soeur. Sans grande surprise, elle venait aussi d'un orphelinat et était mise à l'écart à cause de sa différence.
Elle a la fâcheuse manie de mettre hors service tous les appareils électriques autour d'elle si elle devient émotive.
Quant à moi... Mes visions devenaient de plus en plus fréquentes et aléatoires. Et plus il y avait de monde autour de moi, et pire c'était.
La solitude me procurait une sorte de repos mental. En réalité c'était toujours le cas. Etre avec plus d'une personne à la fois pouvait être aléatoirement reposant et fatiguant.
Et ces migraines insupportables.Douleur et Euphorie
Je pensais que mon altération me laissait tout de même quelques "pauses" mentales après quelques visions. C'était le cas au début ; mais ça ne l'est plus.
Ce jour-là, nous étions partis en famille pour voir une exposition. Ce devait être quelque chose de tout petit, et c'était le cas. Il n'y avait presque personne lorsque nous sommes arrivés, mais une foule de gens est arrivée par la suite.
C'était supportable... Au début. Je commençais à avoir l'habitude de plus ou moins ignorer les visions lorsqu'il y avait un peu de monde. Mais il y a une différence entre "un peu de monde" et "le troupeau de bétail".
Parce que c'est ce que c'est devenu après un moment. Vous savez, quand il y a tellement de monde qu'il devient impossible de bouger tellement les gens sont collés les uns aux autres ? Ca. Vous n'imaginez pas le nombre de gens debout qu'il est possible de mettre dans un cercle d'un rayon de 4 mètres.
Beaucoup trop.
J'ai rapidement attrapé la migraine. Je n'y ai pas trop prêté attention au début, parce que ça m'arrivait régulièremeent dès qu'il y avait un peu de monde.
Mais même les ignorer commençait à devenir difficile. J'avais les visions en transparence par-dessus mon présent, c'était déconcertant. Je crois qu'à ce moment-là, j'ai perdu le reste de ma famille. Mais je ne m'en étais pas rendu compte, trop concentré pour essayer de... savoir ce qu'il se passait réellement autour de moi ?
Et la migraine qui empirait.
Et les images qui se succédaient.
Le plus étrange était que... J'avais envie de continuer à regarder tous ces Fragments, alors que physiquement c'était insupportable ?
Pendant un moment, je ne savais plus où j'étais, qui j'étais ni ce que j'étais entrain de faire. Juste... Que c'était douloureux et étrangement addictif. Et puis... Plus rien.
Je ne sais pas comment ils m'ont sortie de là, mais par la suite je me suis réveillé dans mon lit avec d'horribles nausées. Et l'étrange impression d'être retombé d'un état euphorique.
Plus jamais, jamais, je ne retourne dans un troupeau de gens.
Une Académie
Les cours d'ECA... C'était tout une histoire.
Je ne sais pas s'il y a quelque chose à "contrôler" dans mon altération ; aussi les cours étaient plus ou moins... inutiles ? Ils voulaient me faire travailler quoi ? Mon endurance avec les gens pour que je ne perde pas connaissance ?
Ca je le travaillais déjà tous les jours. On croise plus de monde chaque jour en allant en cours qu'on ne peut le penser.
Ils ont essayé de voir si je pouvais utiliser volontairement mon pouvoir. Si je pouvais provoquer la vision d'un Fragment. Mais... non. Pas du tout. C'est aléatoire, c'est tout.
En dehors de ça, j'ai suivi le cursus Archéologie de l'Académie.
Il faut croire que la vision des Fragments a développé en moi un goût pour les reliques du passé.Finalement, j'ai réussi à avoir mon diplôme, même si le résultat final n'était pas particulièrement exceptionnel.
Une vie
Finalement, ce n'est pas si mal comme métier. Il n'y a pas tant de gens que ça sur un site de fouilles, donc je n'ai pas trop de risque de perdre connaissance. Et souvent ils sont assez grands pour que je puisse me trouver assez loin de tout le monde et travailler sans être importuné.
Et en plus de ça, les sites de fouilles fonctionnent par périodes. En fonction de la météo, des nouveaux sites trouvés... Finalement, j'ai aussi du temps pour moi.Quand je n'ai rien de spécial à faire, mes pas ont tendance à me mener au mauvais endroit au mauvais moment, et je termine assez souvent dans les interrogatoires du CCE. Je sais pourquoi ; j'assimile les Fragments que je vois. Il faut croire que parfois mon inconscient me mène à la réalisation de certains Possibles. Surtout lorsqu'ils impliquent une catastrophe / des blessés ou morts. Pourquoi ? Je ne sais pas.
Je me rends généralement compte de ça lorsque j'arrive sur les lieux.
La fameuse impression de déjà-vu.