« Ces yeux claires et perdus, qui mettent à nu, et entendent les secrets qu’on ne dit plus.»

Je préférerais ne pas savoir.

Ce jour-là, je me suis levé d'une humeur exécrable. J'avais passé la nuit à faire des rêves étranges entrecoupés des quatre ou cinq fragments aggités que je voyais en boucle depuis la veille. Avec ça, j'avais une petite idée de ce qu'il se passait chez mes voisins du dessus : la femme avait clairement trompé son mari et si ce n'était pas déjà fait ils allaient divorcer. Avec une probabilité très, TRES forte.
Ce type d'agitation nocturne liée aux Fragments est rare cependant, et même s'il m'arrive parfois d'en voir dans mon sommeil je ne les distingue pas toujours des rêves en eux mêmes. Mais là, ils s'étaient acharnés sur moi. Aussi, ce matin-là, je voulais aller loin, très loin de mes voisins.

Alors je suis sorti, et j'ai marché. Je suis allé là où mes pas m'ont mené, comme ça m'arrive régulièrement.
En réalité, avec le temps j'ai compris que la destination de ces pas n'était jamais vraiment aléatoire. C'est normal, quelque part. Il y a toujours une intention subconsciente derrière. Et si cette intention variait... Elle avait très souvent un lien avec mon altération. Que ce soit la fatigue, l'addiction ou encore l'attraction inconsciente d'un Possible dont je me souviens inconsciemment...
Et cette fois-ci, j'évitais les gens. J'avais sans doute besoin de beaucoup de calme après cette tornade. J'ai parcouru les rues les plus désertes en évitant les gens. Cela ne me permettait pas d'éviter l'apparition de Fragments à 100%, mais de bien les diminuer et d'avoir des moments de paix.
Eviter les gens.
Eviter les Fragments.
Eviter mon altération.
Ne pas se laisser emporter par la spirale d'euphorie.
Voir ce qu'il y a réellement autour de moi sans parasites visuels et auditifs.

Et avec tout ça... Je ne savais plus om j'étais. C'est cliché, je vous l'accorde. Sur le coup, je ne me suis pasvraiment inquiété ; je savais que je finirais bien par trouver mon chemin. En étudiant les environs, je me suis rendu compte que j'étais sorti de la zone.
Et aussi que mes jambes demandaient une pause.
Alors je suis entré dans cette auberge, en me disant que je pourrais sans doute y prendre quelque chose à boire. Je me suis assis à la table la plus éloignée des gens, et j'ai commandé un café.
Un café.
Parce que manque de sommeil.
Moi qui prends toujours du thé...

Dans ce petit coin vide de monde, les Fragments ne m'embêtaient pas. Une bonne pause. Qui n'a pas duré. Ah ben oui, sinon c'est pas drôle. Mais j'aurais vraiment préféré que pour une fois, les Fragments continuent de me laisser tranquille.
En fait, je crois que j'aurais même préféré revoir pour la vingtième fois le divorce de mes voisins du dessus.
Tout, sauf cette vision d'horreur.
J'étais dans cette vision.
Et cette femme aussi.
Celle qui se trouvait à moins d'un mètre de moi lorsque je suis sorti de la vision. Et qui avait une main sur mon épaule.

Le contact m'a fait frissonner, et il m'a fallu prendre sur moi de toutes mes forces pour ne pas la repousser et partir en courant (et en hurlant aussi probablement).
Après tout, c'était un Possible. Ce n'était pas arrivé.
Elle ne faisait que me servir.
Cela aurait été inapproprié.
J'ai regardé le café devant moi en forçant mon visage à ne pas montrer le malaise que je ressentais. Même si c'était probablement trop tard.

Merci.

Calme-toi, Arsen. Ce n'est qu'un Possible. Cela n'arrivera pas forcément. Tu bois ton café, tu payes, et tu pars. C'est aussi simple que ça. Et après, tu évites cette fille comme la peste.