Une citation, le titre de votre vie, quelque chose dans le genre.

L’existence d’Horatio n’a plus aucun fond. Son abysse personnel est sans plancher et sa crevasse est infinie. Quand son altération a fait dérailler ses plans d’avenir pour l’éjecter au Japon plutôt que dans une prestigieuse université américaine, Horatio a trouvé un précipice sous ses pieds et depuis, une chute prolongée. Il se noie dans sa propre amertume, s’étouffe inexorablement quand surgissent les relents de projets avortés et ses yeux sont toujours perdus dans le paysage fantomatique d’un futur qui aurait dû être mais qui ne sera jamais.

Horatio, écartelé de sa seule grande ambition, erre à l’aveugle dans un monde qu’il ne veut pas comprendre et dans lequel il n’a pas la force de se tailler une place qui aurait pour lui une signification importante. Fatigué, il préfère garder ses orbites vides pour ne pas contempler son abominable désert où rien ne l’inspire et désormais il n’ouvre les paupières qu’au nom de sa soeur. Elle est tout ce qu’il lui reste d’un temps meilleur et d’une vie qu’il a tant aimé.

Il n’y a même pas de colère ni de soupçon de rage ni de pugnacité qui pourrait remettre Horatio debout. Sa colonne vertébrale reste brisée et le plus triste c’est qu’il a trouvé quelque chose de grisant à sa mélancolie, de doux à sa condition. Atteint par l’ivresse des profondeurs, cette sensation de ne pas pouvoir connaître plus bas, une drôle de témérité le saisit.

Avec son grand sourire de gendre idéal, ses chemises parfaitement coupées et ses ongles limées, Horatio bouscule le monde avec la malice d’un enfant espiègle dans l’espoir de se divertir et surtout pour garder la face. Il accumule les plaisanteries de crapules, les boutades malicieuses et répond avec une condescendance insupportable car dans son ennui, il a besoin d’irriter, de susciter des réactions sur lesquelles subsister une fraction de seconde.

Alors on le connaît surtout avec un air bravache ; à moitié fanfaron, à moitié indifférent C’est aussi sa dernière fierté. Il se sait abattu mais gardera le buste haut et le menton relevé. Par question d’orgueil, Horatio compte se laisser couler les épaules droites, avec toute la noblesse de sa naissance, tout le printemps de sa jeunesse et l’or de son éducation en costume d’apparat. C’est la dernière chose à laquelle il aspire véritablement.

Fondamentalement Horatio n’est ni méchant, ni égoïste et s’il survit, s’il s’accroche encore aujourd’hui à des débris, c’est surtout pour sa soeur. Il y a dans le zèle, dans la dévotion et l'altruisme quelque chose d’infiniment réconfortant ; la certitude d’être encore utile et un simili de maîtrise. Parfois, à travers ce qui lui reste de tendresse et d’attention, il suppose se reprendre en main et ce n’est pas désagréable.

― Bien que toujours souriant, Horatio n’est pas exubérant et son rictus est pratiquement sa seule expression. ―  Parfois il participe à des débats et des discussions politiques juste dans le but d’être condescendant et de provoquer parce qu’il n’a rien de mieux à faire ― Et que ça l’amuse d’appâter des camarades trop engagés ― Le débat pro/anti altéré ne l’intéresse pas parce qu’il ne veut pas se compliquer la vie avec ça ― Il est trop occupé à se morfondre et s’investir sur la question l’obligerait à faire face à son propre conflit intérieur ― Horatio a un tempérament plus doux que celui de Scarlett et n’aime pas particulièrement les confrontations trop sérieuses ― En soirée il agit de manière irresponsable parce qu’il faut bien profiter de sa jeunesse, psychologiquement, il s’agit d’un mécanisme de défense employé afin de surmonter sa mélancolie ― Horatio propose souvent à sa soeur de lui servir de paratonnerre afin que cette dernière expérimente avec son electrokinésie ― un incident s’est déjà produit et il est passé par la case infirmerie ― Il fait du rentre-dedans de manière compulsive avec la plupart des filles qu’il rencontre mais va rarement au delà ― peut paraître antipathique en raison de sa désinvolture et de la hauteur avec laquelle il prend les gens ― il reste intimement persuadé d’être mieux que 99,9% de la populace ― il est difficilement impressionnable parce qu’on l’a élevé comme tel et que personne n’effleure à la cheville de son père qui reste bien malgré Horatio, une référence

A ce jour, j’ai toujours voulu trouver une magnitude, une signification particulière, quelque chose d’autre que du hasard. Nous étions censés être exceptionnels mais pas jusqu’à atteindre ce point de non-retour.

J’avais dix-sept ans et Harvard en ligne de mire quand ma soeur a fait des étincelles avec autre chose que son caractère. Comme tout héritier des vieilles fortunes américaines ma vie aurait dû être linéaire. J’avais simplement à me saisir de la gloire de mon père, à y ajouter la mienne et j’aurais pu passer le restant de mes jours le nez piffé de coke à débattre du futur de la société avec le gratin politique de la côte Est.

Ce soir-là, j’avais prévu une petite soirée sympathique avec ma copine de l’époque. A la place, dans un fracas singulier et terrible, l’homme que j’ai idolâtré toute ma vie m’a amputé de tout ce que j’avais. Je ne l’ai plus jamais appelé papa. Il est devenu cet homme alien avec qui nous avions passés un accord. Accepter le japon et vivre sans remous, loin de la sphère politique américaine dont l’opinion lui importait plus que celle de ses propres gosses et en échange une enveloppe si grasse que refuser aurait été impossible.

Nous n’avons même pas eu droit à des adieux. Nous ne sommes pas revenus depuis. C’était rapide, brutal et violent. Le genre de choc à donner une vraie gueule de bois. Aujourd’hui j’ai l’impression d’être encore sonné.

Les yeux fermés, les grattes-ciels me reviennent et avec eux les souvenirs d’un autre temps affluent. J’aime ce torrent amer parce qu’il y subsiste des trésors enfouis que je veux déterrer. Une dernière fois. Il y a nos hivers qu’on passait à dévaler à toute vitesse les flancs escarpés de montagnes enneigées et les festins de thanksgiving où les débats politiques étaient toujours le plat principal. Et puis il y avait nos étés brûlants, où l’on baroudait de ports de plaisances dans les bras de grands voiliers qu’on dirigeait la peau mordorée, dans une image d’épinale ultra-moderne.

Aujourd’hui, de tout ça il ne me reste qu’une seule perle, lisse et brillante qui forme une certitude qu’ont forgé les liens du sang.

Heureusement que Scarlett est là.