Après avoir parcouru quelques boutiques, et trouvé son bonheur - ou celui de quelqu'un d'autre, c'est plus probable - elle fit demi-tour, rentrer à l'académie, l'esprit plus léger que d'habitude. Elle ne manquait pas d'argent - exactement le contraire - mais elle n'allait pas se plaindre d'avoir dépensé moins que ce à quoi elle s'attendait, pour quelque chose de tout aussi bien que ce qu'elle cherchait. Elle était... satisfaite.

Ava cacha son porte-monnaie au fond de son sac cabas noir - le seul sac qu'elle avait - et accrocha le sac en plastique contenant son achat

Mais son esprit s'alourdit après quelques minutes de marche, quand elle remarqua quelqu'un de bien plus malchanceux qu'elle. Assis par terre. Évitant les regards. Elle se sentait coupable - de quoi, elle n'en avait aucune idée. Elle ralentit ses pas, et ressorti son porte-monnaie. Il ne restait qu'un gros billet, et quelques petites pièces - ces dernières n'étaient que de la monnaie, et elle ne pourrait pas dormir cette nuit si elle ne donnait que le minimum à quelqu'un qui avait besoin de bien plus qu'elle. Alors elle prit le billet, et elle glissa le billet au fond du verre - pour être sûre que personne ne le verrait facilement et ne tenterait de le voler.

Elle ne dit pas un mot, et continua son chemin. Même si elle avait dit quoi que ce soit, il n'aurait sûrement pas compris son anglais d'Ecosse ou son japonais fragile. Pas comme si elle avait besoin de dire quoi que ce soit, de toutes façon. Elle espère juste que tout ira bien pour celui-ci. Pas comme les deux autres dont elle a rêvé, sans rien pou- Une main arrête son train de pensées et elle a peur pendant une seconde. Peur ou surprise, sur le coup, elle ne fait jamais la différence.

Elle se retourne rapidement. Un réflexe. C'est le sans-abri d'il y a exactement une minute, et les mots qui sortent de sa bouche sont étrangers à Ava.

Pourquoi...

Donner...

Ça...

Ce sont les seuls mots qu'Ava comprends sur le moment, et elle essaie de donner une réponse pertinente. Elle se maudit pour ne pas étudier la langue Japonaise avec plus de concentration et d'empressement comme elle le devrait.

T-tu... as besoin... plus que... moi...?

C'était pas si terrible, pour une des premières phrases entières - ou presque - qu'elle a prononcé. Elle se contentait de parler anglais, ou de ne pas parler du tout. Malgré le vocabulaire juste décent et compréhensible, son accent et son hésitation quand à son choix de mot et de formulation pourraient très bien être une barrière épaisse d'incompréhension. Merde...

Quelque secondes de silence séparait le prochain son qu'elle entendrait clairement - un remerciement, court, précis, qu'elle reconnait facilement. Elle n'est plus sûre de se souvenir comment dire "de rien" ou "ce n'est rien", en japonais, alors elle secoue sa tête avec un petit sourire.

Ava allait se retourner et continuer son chemin, si elle n'aurait pas remarqué que le sans-abri la fixait. Elle jeta un regard à droite, un regard à gauche, un peu gênée par le silence et le regard prolongé.

... Quoi... ? Une seconde et demi lui suffit pour se rappeler de la bonne question. As-tu... besoin... de quelque chose?

L'étrangère pense ce qu'elle demande. Peut-être est-ce la politesse qui l'a menée à poser la question, mais maintenant qu'elle y réfléchit - si elle pouvait aider quelqu'un, elle le ferait. Du moment que ce n'est rien d'illégal. Mais sortir un SDF ou deux de la misère n'a jamais été illégal, de ce qu'elle sait. Ce n'est pas comme si ces quelques milliers de yens allaient le nourrir toute sa vie.

Encore une fois, même s'il lui manquait un mot de vocabulaire ou deux sur l'instant, Ava comprit le  sens de la phrase qu'il lui adressait. Je --- t'avoir --- vu quelque part. Elle, elle était certaine de ne jamais l'avoir vu dans la rue, il y avait donc trois possibilités :

1. Elle n'avait juste pas fait attention avant, ou bien il n'était pas dans son champs de vision.
2. Elle avait rêvé de lui, et peut-être que ses rêves avaient plus de conséquences sur la vraie vie qu'elle ne l'avait pensé jusque là.
3. Il mentait, tout simplement.

Elle aimerait éviter de penser que la troisième option soit la bonne - pourquoi mentir sur quelque chose d'aussi insignifiant? Quant à la deuxième... Ne s'en serait-elle pas rendue compte depuis toutes ces années? Quand son train de pensées s'arrêta enfin, elle se rendit compte qu'elle fixait le SDF. Essayant de placer un endroit ou un moment sur son visage, en vain. L’Écossaise détourna son regard quand elle se rappela que regarder fixement les gens était malpoli, et fit "non" de la tête.

Désolée... Je... Souvenir, souvenir, comment dit-on souvenir en japonais, encore? Rappeler, peut-être? Oh Dieu, faites qu'elle ne se trompe pas. suis à l'envers... ?

C'était très probablement le mauvais mot. Elle ne se souvenait pas. Elle espérait vraiment, BEAUCOUP, de ne pas s'être trompée et d'avoir dit quelque chose d'offensant ou qui n'a aucun sens.

Un peu plus de temps qu'avant s'écoula avant sa réponse, et il avait l'air de réfléchir - Ava devina facilement qu'elle s'était trompée. Qu'elle avait fait une erreur assez grossière pour empêcher une communication assez fluide. Elle se maudit, et se jura de donner plus d'attention à ses lacunes en cours de japonais dès qu'elle serait rentrée. Enfin, il prononça des mots familiers. Des mots anglais - qu'elle comprit facilement, même si la formulation laissait à désirer, et elle assuma qu'il avait juste répéta la même questions car les mots-clés - du moins ceux qu'elle avait compris - étaient les même. La jeune femme hocha de la tête, et tenta de trouver les mots les plus simples - elle avait compris que l'anglais n'était pas le point fort du sans-abri - pour répondre, cette fois-ci en anglais, sur un ton désolé.

Je suis désolée. Je ne me souviens pas t'avoir vu avant...

Elle essayait de se rappeler, fixant le visage de l'étranger jusqu'à ce qu'un mal de crâne pointa le bout de son nez. Elle arrêta d'essayer, et soupira.

Est-ce que tu te souviens de où, ou quand, tu penses m'avoir vue ? reprit-elle, toujours en anglais, avec le vocabulaire le plus basique qu'elle puisse exprimer.

Ava se sentait plus à l'aise avec l'anglais. Beaucoup moins hésitante sur chacun de ses mots. Mais malgré cela, elle espérait toujours avoir un nom, ou peut-être au moins un temps et un lieu, dans lesquels placer le visage de son interlocuteur.

Ce n'était que maintenant que la possibilité qu'il ait une altération - peut-être similaire à la sienne - la frappait. Et si c'était le cas, il n'y avait probablement rien qu'elle puisse se rappeler.

"C'est pas grave", il lui dit.

"Ce n'est sûrement rien".

"J'ai sûrement la mauvaise personne".

Ava regrette d'avoir oublié - même si, en premier lieu, il n'y avait rien à oublier. Elle a l'impression d'embarrasser le jeune homme, mais rejette ce sentiment - ce n'est pas sa faute. Et même si ça l'était, elle ne pouvait rien y faire maintenant. Peut-être plus tard. Ce qu'elle pouvait faire maintenant - ce qu'elle avait déjà fait, en faite - c'est s'assurer qu'il ne meure ni de faim ni de froid dans les prochains jours. Elle se rassura elle-même. Même si elle avait oublié, elle se rattraperait en temps voulu.

Alors l'étudiante soutient son regard, et hausse des épaules.

... O-ok.

L’Écossaise se tait pendant une petite seconde. Un dernier effort pour se souvenir, peut-être. Mais rien ne lui revient.

Bon... Hum... Passe une... Bonne journée... dit-elle avec un sourire-maladroit.

Ava n'était pas certaine à quel point les journées pouvaient être mauvaises, en général, quand on était SDF. Mais sa phrase à elle, était plus une prière de bonne augure qu'une recommandation. Pas que son interlocuteur puisse le deviner, bien sûr, mais peut-être comprendrait-il son intention.

Elle lui fait un adieu de la main, et commence à reprendre son chemin. Une dernière courte prière quitte ses lèvres.

Tiens bon.